Le professeur frappa dans ses mains et sourit. Il nous donna une liste d'exercices à faire pour le lendemain avant de nous prier de sortir, avec la sonnerie de l'école en musique de fond. Je pris mon temps pour ranger mes affaires et faire mon sac. Je n'étais pas vraiment pressé de rentrer. Tout les autres sortirent, et je les suivis d'un pas calme, lent, blasé … La danse me laissait toujours béat.

La journée était terminée. Je me sentais si … léger ? Non, pas léger. Les gens normaux sont léger quand ils ont fini les cours. Moi, je n'ai pas à m'abaisser à leur niveau. Peut-être fatigué ? Non, pas spécialement. Je n'avais rien eu à faire de la journée – comme à mon habitude, notera-t-on – je ne voyais vraiment pas pourquoi je serais fatigué dans ses conditions. C'était plutôt qu'une ombre planait sur mon cœur. Je grimaçais. En fait je connaissais bien cette situation. Et je savais tout à fait ce qui arrivait quand j'étais comme ça. Je me connaissais tout de même. Je regardais autour de moi. Il y avait au moins une dizaine de personnes. C'était trop. Beaucoup trop. Si il y en avait eu que deux ou trois, mieux, des filles, j'aurai pu faire le type sensible qui pleure, mais ce n'était pas le cas.

Je commençais à accélérer mon pas, jusque là souple et tranquille, puis arrivé à un couloir sombre et totalement désert, je fit un brusque écart et m'y engouffrais rapidement, jusqu'au fond pour être sûr que personne n'entendrai rien. C'était un petit couloir de ceux qui mènent jusqu'à une petite salle de danse avec parquet et miroirs, dans laquelle il m'était arrivé déjà d'aller faire de la danse classique, et je savais qu'elle était peu utilisée, car les élèves préféraient aller dans la grande salle pour faire leurs échauffements, étirements, et autres pas.

Je m'assis donc par terre, et les larmes commencèrent à couler. Mon dieu, comme j'avais honte de ces moments de faiblesse. Toujours, les premières larmes étaient les plus horribles. Les plus douloureuse. Celles sur lesquelles je m'interrogeais le plus. Leur chaleur me brûlait les joues, mais faisait place à un sentiment étrange de réconfort. Moi tout seul avec mes larmes, je me sentais libéré. Je ne sais pas comment ce phénomène était possible, mais je me sentais faible et fragile, à chaque fois que je recommençais. J'aurais dû me méfier de moi-même mais à chaque fois je recommençais de la même manière.

Mais pourquoi est-ce que je pleurais comme ça. Personne n'est aussi heureux que moi. C'est moi qui fait pleurer les gens, ça devrait être eux, assis là où je suis assis, dans le couloir où je suis, à pleurer autant que moi. Je ne voulais pas être faible. Je ne voulais pas être la chose au fond du couloir, qui pleure, et pourtant … c'est ce que je suis. Je me sentais si vide … Peut-être que des pas retentirent, mais dans mon malheur (?) je n'eus pas le courage ni de relever la tête ni de dire quoi que ce soit. Advienne que pourra, je pense que c'est la pensée – idiote, je dois l'avouer – qui me traversa la tête.

La pensée de laisser aller laissa vite la place à une panique qui me serra très fortement le cœur. Mince de chez mince, si ce – cette – type – fille s'apercevait que j'étais en train de pleurer, ce qui à mon grand déplaisir était sûrement déjà fait, j'étais dans la m … bon. Me calmer. Avec un peu de chance, ce serai une fille, un petit sourire et elle oublierai. Oui mais non, là je n'étais pas dans une situation de domination. Qui obéirai à quelqu'un qui vient de pleurer comme une madeleine devant ses yeux ? Pas moi. De mon avis personnel, je casserai encore plus la personne présente, mais supposant que la personne qui était près de moi soit un de ses imbéciles qui sont ''gentils'' et ''attentifs'', cette personne cherchera sûrement à me consoler, ce dont je n'ai franchement pas besoin ( c'est même la dernière chose que j'aimerai au monde ), soit elle était curieuse – non, pas ça … - et allait me demander ce qu'il se passait ( en fait, je crois que je préférais la première option.

Le ''euh salut'' me conforta dans ma certitude que la personne était stupide. Sérieusement, personne ne disait ça à quelqu'un qui pleurait. Ce serait peut-être plus facile que je ne l'imaginais de la rouler … De plus, la voix qui avait retentit à mes oreilles était définitivement féminine. Je fis un demi sourire. Mes larmes ne coulaient plus, peut-être parce que j'avais été interrompu, mais en tout cas, je ne ressentait pas le même soulagement que d'habitude. Etrange.

Non, si elle voulait tout savoir, ça n'allait pas, parce qu'elle m'avait surpris dans une position embarrassante, et parce qu'elle me posait ce genre de question. Je ricanais dans ma barbe et me relevait brusquement, puis fit un sourire, mais pas celui que j'utilisais habituellement. Plutôt de ceux qui ont une idée – une bonne, assurément – en tête. Je détaillais la jeune fille. Elle n'était pas extraordinaire, sans en être laide non-plus. Elle faisait simplette, avec sa musculature fine – typiquement asiatique, me diriez-vous – et son visage doux. Je l'attrapais par le coude et rapprochais dangereusement mon visage du siens, puis plongeait un regard agressif dans le sien. Je présentais que j'allais devoir utiliser une méthode différente aujourd'hui. Après tout, ce n'était pas non plus un cas habituel, pas vrai ? Je m'approchais de son oreille et lui chuchota ;

-Ecoute, j'aimerai te demander un service. Ou plutôt, je t'oblige à m'écouter et tu dois faire ce que je te dis, sinon il t'arrivera des choses … désagréable disons. Tu vois ce que tu viens de voir ? Je ne te demande pas de n'en parler à personne. Je ne te demande pas de le garder pour toi. Je te demande juste de l'oublier. Tu n'as rien vu, tu passais dans ce couloir, il n'y avait personne. On ne s'est jamais parlé, jamais rencontré, jamais vu, tu ne soupçonne pas mon existence, je ne soupçonne pas la tienne. Compris ?

Je souris intérieurement en prononçant les mots à l'oreille de la personne en face de moi. On ne distinguait pas vraiment bien les choses dans le noir, et je savais par expérience qu'un contact physique bien proche pouvait facilement changer le comportement de quelqu'un, et lui faire oublier pas mal de chose. Je m'exécutais donc, tout fier de ma manœuvre. C'est là que je me mangeais la baffe – ou plutôt, je me pris une claque, si je voulais parler dans un langage adapté. Sans commentaires. Je dois dire que ça m'a extrêmement surpris. En général, je ne reçois pas ce genre de traitement. Enfin je ne sais pas, quelle fille voudrait frapper de cette manière un visage comme le mien ? Un éclair de fureur passa dans mes yeux, mais je n'étais pas le genre de garçon qui se laisse emporter par ses émotions. Je n'allait tout de même pas m'énerver pour ça ? De plus, j'étais en position de faiblesse devant une fille que je ne connaissait pas, et si je la contrariais, je risquais très gros. Je ne tenais pas vraiment à ce que tout le monde sache que je pleure dans les couloirs, après les cours … C'est plutôt compréhensible, non ? Pour quelqu'un comme moi, avoir l'étiquette pleurnicheur, ce n'était pas dégradant, c'était juste … diffamatoire. Une profanation à mon être, et moi-même je me détestais d'être comme ça, alors les autres, autant ne pas y penser. Je me repris donc et, baissait la tête, mes cheveux retombant légèrement sur mon visage, que je relevais … en éclatant d'un rire franc. Ou pas, mais en tout cas, j'essayais de faire de mon mieux pour paraître jovial et détendu, et je lui fis un joli sourire.

-Ah désolé de t'avoir surprise, je ne voulais pas te faire peur. Je plaisantais, désolé encore si je t'ai mis dans l'embarras ou si je t'ai gênée. En tout cas, on peut dire que tu sais te défendre.

Fis-je en m'approchant et en lui tendant une main amicale. Je n'avais pas d'autre choix que de jouer le type sympa qui ne faisait qu'une mauvaise blague maintenant, sinon, vu son caractère et la façons dont elle m'avait gifler je ne laissais pas cher de mon secret, et ce n'était pas que je n'avais pas envie que tout le monde le sache demain à la première heure mais … si en fait. Je n'avais pas envie que ça se produise, j'étais donc malgré moi contraint de faire ami ami avec cette fille. Et elle avait l'air très énervée, mieux valait donc ne pas risquer une grosse dispute, qui attirerait du monde.

-En fait, c'est toi qui m'a surpris, donc j'ai peut-être réagi d'une façon un peu disproportionnée, et je m'en excuse sincèrement.

Chez moi, la sincérité est une notion très instable, mais cette fille ne pouvait définitivement pas le savoir, et je comptais bien profiter du fait qu'elle avait l'air peu informée sur moi.

-Mais je reformule, si il te plait, tu voudrais bien ne parler à personne de ce que tu viens de voir ? Je … J'ai perdu mon chien hier. Après plusieurs mois de grave maladie, ma famille on s'est résolus à l'emmener chez le docteur se faire piquer … Ça s'est fait cette après-midi …

fis-je en baissant les yeux et en prenant un air mélodramatique.

La fille me regardait toujours avec un air glacial. Eh bien, ma comédie n'avait pas l'air de l'avoir rassurée plus que ça, et ça ne m'enchantais pas vraiment. Je décidais de faire bonne figure. Après tout, mon histoire tenait debout, je n'avais pas à m'inquiéter. Et puis, si elle allait le répéter … Ce serait gênant bien entendu, mais sûrement les filles trouveraient-elles ça mignon de pleurer parce que son chien est mort. Je ne sais pas … J'étais quand même populaire, ce n'était pas avec ça que le monde allait me tomber sur la tête, même si je préférais que l'histoire du chien reste enterrée, parce que je savais que si on me demandait, je ne m'y connaitrais pas du tout en canidé. Ce qui pouvait faire couler tout mon mensonge. Et de surcroit, susciter des interrogation. Ce que je voulais justement éviter. Cherchez l'erreur.

Elle marmonna qu'elle ne trouvait pas ça drôle, et j'étais tout à fait de son avis – bon, peut-être pas pour les mêmes raisons, je dois l'avouer – mais je fis bonne figure et tâchait de faire comme si de rien était. La fille, dont je ne connaissais pas le nom mais dont le visage commençait à me dire étrangement quelque chose – où est-ce que j'avais pu bien la voir ? - avait l'air honteuse de son comportement. La baffe, j'accusais, ce n'était pas la première fois que ça m'arrivait, et je souris d'un air que je voulais gentil et encourageant.

Je la vis regarder mon bras tendu avec méfiance, et répondre sèchement. D'accord, je l'avais prise un peu vivement, mais lui casser la bras, c'était un peu exagéré. J'étais quelqu'un de doux en général. Pas forcément pour les bonnes raisons, mais jamais je ne brutalisais les gens gratuitement. Je n'étais pas une racaille, j'étais un jeune homme issu de la haute société de Séoul. Alors il ne fallait pas espérer de moi que je devienne violent. Je savais contrôler mes émotions. Du moins, en temps normal.

Je sursautais à sa dernière phrase. Hein ? Elle me faisait chanter ? Mais … pour qui elle se prenait ? L'illumination vint vite ''pour la fille qui connait ton secret, Ki Sang''. D'accord, elle était tout à fait en position pour ce genre de chose, mais ça m'avait surpris qu'elle sorte ça de cette manière. Jusqu'à la prochaine fois, hein ? Eh bien, je ferais en sorte que ça n'arrive pas. J'en avais la possibilité, il fallait juste que je me tienne à carreau quand elle était là. Je hochais donc la tête en écartant les bras, signe d'impuissance.

-Très bien, je te laisse mon secret entre les mains. Mais fais-y attention. Au fait, je ne t'ai pas demandé ton nom ?

Je savais bien que j'allais devoir lui donner le miens, si elle me répondait, mais j'étais dans l'obligation de lui poser cette question, car elle saurait mon nom un jour ou l'autre qu'elle le veuille ou non, alors que moi, c'était maintenant ou jamais, je me risquais donc sur cette pente glissante, espérant que cette sensation de déjà vu soit juste due à mon imagination, et que cette première rencontre soit aussi la dernière.

Elle me sourit gentiment. Décidément, les gens ici étaient bizarre. Enfin bref. Je n'étais pas là pour mesurer leur degré d'étrangeté. Mais si ça pouvait la faire éviter de crier comme une dingue, alors j'étais preneur. Discrétion en premier lieu.

-Je te dis le mien seulement si tu me dis le tien en premier !

Bon, elle voulait le jouer comme ça … Elle avait l'air méfiante, et si je refusais de lui dire mon nom, elle risquait de s'en aller en courant. Chose qu'il fallait à tout prix que j'évite, au vu des conséquences. De plus, je détestais que les autres connaissent plus de choses sur moi que je n'en sais sur eux, et la connaissance de mon secret était bien assez lourde, je devais donc connaître son nom. C'était avec mauvaise foie que j'allais lui répondre, mais apparemment, elle avait changer d'avis entre temps. Tant mieux.
-Ok ! Mahana, c’est pas très coréen mais c’est mon prénom, mes racines.

Mahana ? Effectivement. Mais vu qu'elle ne m'avait dit que son prénom, je pouvais me contenter de ne donner que le mien de la même manière. N'empêche, Mahana, ce n'était pas courant, et pourtant j'étais sûr de l'avoir déjà vu écrit quelque part … Sur un tableau d'affichage peut-être ? Elle je ne l'avais jamais vue, c'était sûr, mais je connaissais son prénom. Encore une fois, bizarre. Je hochais la tête.

-Moi c'est Ki Sang. Et … ça par contre c'est coréen. Enfin, je crois, mais ça m'étonnerai de la part de mes parents que ce ne le soit pas. Les connaissant …

Bon, voilà que je me mettais à déblatérer ma vie à une ''inconnue'', si on exceptait le fait que son nom me disait quelque chose. Je me repris et tu la fin de ma phrase. Je ne comptais pas en dire plus – je ne comptais même pas d'ailleurs en dire autant. J'allais me relever pour partir, me sentant un peu mal à l'aise et souhaitant penser à autre chose, quand elle posa de nouveau une question.

-Dit moi la vérité, ton chien n’est pas mort hein !

Okay, ce n'était même pas une question c'était une affirmation. Bien sûr que non, ce n'était pas vrai, je n'avais jamais eu de chien, mes parents détestent ça. Mon frère a bien eu un chat, mais vu qu'à cette époque je devais lui avoir adressé … trois mots ? Enfin, quelque chose dans le genre, je n'avais pas vraiment eu de contact avec cet animal. Bah, autant lui dire la vérité maintenant – ou du moins, lui avouer que ce n'était pas à cause de mon chien que je pleurais.

-Mmmh … C'est possible que je n'ai jamais eu de chien vraiment en fait. Mais c'est trop personnel pour que je puisse expliquer, donc ne cherche pas, d'accord ?

Et là, j'ai eu une subite éclaircie. Mahana, je l'avais déjà vu … Sur le panneau devant ma résidence. On était dans la même résidence. Je dégluti. J'étais mal barré … Une sortie discrète me parut être une bonne option.

-Hum … Je dois y aller … On se verra sûrement une autre fois …